La chasse de la bécasse des bois et son avenir .
Les illusionnistes !
Pour connaître l'état de conservation des espèces sauvages et, pour les gérer efficacement lors quelles sont chassables et chassées, il faut impérativement connaître chaque année l'estimation du nombre de reproducteurs et le niveau des prélèvements. Les scientifiques et les chercheurs pour une fois d'accord, l'affirment depuis longtemps.
Pour la Bécasse des bois Européenne le constat est sans appel.
Hier comme aujourd'hui, le monde cynégétique ne connaît pas le nombre de reproducteurs et, n'est pas prêt de le connaître puisque nous savons grâce aux Bécasses équipées de balises Argos, que la Russie héberge plus des deux tiers de l'effectif reproducteur Européen...
Il ne connaît pas davantage le niveau des prélèvements. En cause, l'absence d'un comptage fiable dans les pays prèleveurs. Il se satisfait de suppositions, comme l'estimation au doigt mouillé de 2017 (entre 2.5 et 3 millions, Y.Ferrand et F. Goosmann Oncfs). En baisse de 25% par rapport à leur estimation doigt mouillé en 2000 !
Ça commence mal et ce n'est pas fini ! En cherchant un peu, nous pouvons également constater que nous ne connaissons pas :
Le pourcentage de femelles et de mâles à la naissance car, en l'absence d'études spécifiques, les « spécialistes » admettent simplement qu'il serait de 50/50. Cette hypothèse met en danger l'espèce, puisqu'il se prélève à la chasse plus de 60% de femelles !
Le pourcentage de mortalité P.A.M (Prédations, Accidents, Maladies), des adultes reproducteurs pendant la migration de reproduction et la nidification.
La qualité de la reproduction chaque année « etc », la liste n'est pas exhaustive.
Un tel constat devrait inciter à la plus grande prudence les représentants cynégétiques, quand ils s'expriment sur l'état de conservation de l'espèce, d'autant plus que dans plusieurs pays, de nombreux scientifiques, chercheurs, chasseurs, dont je fais partie, observent sur le terrain depuis plusieurs décennies une diminution inexorable de la fréquentation, en reproduction comme en hivernage.
Pourtant, nous pouvons lire sous la plume du représentant d'un club de bécassiers qui se revendique le premier de France, bien qu'il « regroupe » à peine 1.300 adhérents actifs, (0.5% des 250.000 chasseurs Français qui déclarent chasser et prélever la Bécasse des bois), les affirmations suivantes.
L'évolution de notre ICA (Indice Cynégétique d'Abondance) suit une courbe ascendante depuis maintenant une quinzaine d'années. Avec une valeur de 2.16 en 2022/2023, il est le plus élevé depuis 1996. Il est corroboré par l'IAN (Indice d'Abondance Nocturne). On peut évoquer des biais dans le calcul de ces deux indices. Mais ce qui compte c'est la constance avec laquelle les données sont saisies. La valeur annuelle importe peu. Le constat ne peut souffrir d'aucune contradiction, cette évolution est positive permettant d'affirmer que les populations bécassières se portent bien.
Ce constat doit être fermement contredit car, c'est une constante, il est biaisé. L'échantillon de chasseurs et de bagueurs qui participe à la récolte des données n'est plus représentatif de la réalité du terrain. La véracité des comptages n'est pas vérifiée. La couverture des départements est aléatoire. Seuls les chasseurs qui ont payé une cotisation et, qui veulent bien envoyer leurs données participent, mais changent chaque année. Résultat, les valeurs de cet ICA sont passées de 1.35 en 1996/1997 à 2.16 en 2022/2023 !
Vu l'ampleur de la hausse, si ce représentant croit à la fiabilité de ses indicateurs, il doit déclarer que l'espèce prolifère. Il y croit tellement peu qu'il se sent obligé pour leur donner du poids, de faire référence à la liste rouge de l'UICN et, un comble, d'en interpréter à sa manière les critères du classement. Je le cite.
« Pour l'instant pas d'inquiétude pour la Bécasse puisqu'elle est classée en « préoccupation mineure » sur la liste rouge de l'UICN, expression utilisée pour tout simplement dire que l'espèce se porte bien et qu'elle n'est pas en danger ».
Je suis allé voir ce que dit l'UICN depuis 2020 sur la Bécasse des bois.
En Europe et dans l'UE 28, la taille de la population reproductrice est soupçonnée diminuer de moins de 25% sur 14 ans (3 générations). Malgré le fait que la tendance de la population semble être à la baisse, le déclin continu ne semble pas encore suffisamment rapide pour se rapprocher des seuils de vulnérabilité.
Le jugement de l'UICN est bien éloigné de celui du représentant du club spécialisé. Il veut plutôt dire qu'aujourd'hui, la bécasse des bois peut être classée à minima « espèce quasi menacée ». Ce n'est pas rassurant.
Sauf à privilégier à tout prix, pour les uns la conservation du nombre de permis de chasse, pour les autres la sauvegarde de leur nombre d'adhérents, comment peut on s'enfermer dans un tel déni en jouant les illusionnistes?
Philippe Vignac chasseur chercheur Décembre 2024